Evénement institutionnel, “Over the Wall” n’a pas forcément été du goût de tous les graffeurs nantais. Certains, pourtant fort talentueux, n’ont pas eu le droit de s’exprimer sur les murs, car non invités. Qu’à cela ne tienne, ils l’ont pris et ont lancé un “Off”, baptisé “Le Virage à Nantes”.
Le premier acte de ce collectif de graffeurs anonymes a eu un retentissement considérable : le 26 mai, lors du grand week-end de la Pentecôte, une gigantesque fresque a été peinte sur les quais de la Loire, couvrant tout le mur de ce spot légal. Avec une seule inscription en lettres rouges sur fond gris : “Où sont les gens du Voyage à Nantes ?”. Visible de loin, du tramway et de la route, cette peinture pertinente mais dérangeante n’est pas passée inaperçue. A double sens, elle souhaitait faire réagir la population sur la situation des Roms installés à Trentemoult près d’une oeuvre du “Voyage à Nantes”. Elle adressait au passage “une pique” à l’événement culturel et touristique nantais, en particulier au parcours graffiti “Over the Wall”.
Forcément, cette fresque polémique n’a pas fait long feu : trois jours plus tard, les services de Nantes Métropole l’ont effacée. Les réseaux sociaux et la presse locale se sont aussitôt emparés de l’affaire, donnant un large écho au “Virage à Nantes”. Dans un communiqué, la Ville a alors expliqué ses motivations : “des personnes n’ont pas respecté la libre expression prévue pour les murs légaux en recouvrant une partie du mur d’une couche de peinture grise, afin de pouvoir y inscrire un message qui ne correspond en rien à la démarche artistique pour laquelle ce mur est réservé. Il s’agit ici de bien faire la différence entre des graffitis (style décriture artistique en volume, forme de street art, fresques… etc) et du tag ou d’autres inscriptions ne correspondant pas à l’Art du graff. Aussi la décision a été prise conjointement par les services de la Ville et de Nantes Métropole de recouvrir ce message afin de redonner cet espace d’expression aux graffeurs auquel il est destiné”.
Considérant qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’oeufs, les membres du Virage à Nantes ont de nouveau fait parler d’eux en juillet : des oeufs sont soudain tombés du ciel et ont atterri sur les toits de Nantes ! Visibles du bar “Le Nid”, tout en haut de la Tour de Bretagne, ils ont eu un franc succès auprès des visiteurs et touristes ! Deux ont été peints en une nuit, un troisième a éclos quelques jours plus tard en attendant le quatrième et dernier oeuf sur le plat ! De quoi faire les choux gras de la presse locale en pleine saison estivale, contribuant ainsi à la notoriété du Virage à Nantes.
Dans la foulée, le collectif a d’ailleurs créé un site éponyme sur internet et, sous forme de manifeste, a clairement exprimé ses motivations. “Le virage à Nantes est une invitation au désordre, à d'autres lignes. Un mouvement émancipé pour engager voyageurs et habitants loin des itinéraires fléchés et des chemins balisés, biaisés. Le virage à Nantes récupère l'événement, détourne les regards et contredit la proposition officielle pour révéler les interstices, les incidents, le moche et le banal, trop rarement cartographiés ou catalogués pour un papier glacé qui ne laisse rien suinter. Le virage à Nantes est un mouvement -éphémère et percutant- qui scande une forme de créativité critique et collective; loin du marketing territorial et des plans de communication guidés par l'attrait d'un rayonnement de vitrine ... Une invitation à occuper les marges, à raisonner et résonner, l'espace d'une ville et d'un été”.
Artistes, graffeurs, vidéastes, affichistes, performeurs… ont ainsi été invités à rejoindre le collectif, à condition de respecter les règles du jeu : “Aucun projet visant à détruire, salir, casser la gueule, détériorer, voler ou embellir les oeuvres et propositions du Voyage à Nantes ne sera labellisé ou cautionné par le Virage”.
Une nouvelle fresque a ainsi été peinte sur le site des anciennes brasseries de la Meuse (“Ceci n’est pas du vandalisme”) tandis que Persu, invité d’Over The Wall mais ouvert à toutes les expériences, s’est approprié le mur légal du pont de Tbilissi : “Prenez le Virage à Nantes” a t’il écrit sur cette incroyable peinture en noir et blanc. Même les organisateurs d’Over The Wall ont apprécié…