Singulière est la pratique de The Blind, issu lui aussi des Beaux-Arts de Nantes. Depuis 2004, il est le seul artiste français à faire de « la signalétique pour aveugles. » Autrement dit, il pose du braille sur les murs. On y voit régulièrement des petites demi-sphères en plâtre qui font office de lettres. Le message est incompréhensible pour les non-initiés. Mais lorsque l’explication est livrée, on en mesure toute la pertinence et la drôlerie, en fonction du lieu choisi. Les sites sont en effet toujours étudiés à l’avance et les petites phrases font sens. Exemples à Paris : « Vu et revu » au Trocadéro, « L’art te touche ? » sur le palais de Tokyo, « Broyer du noir » dans les catacombes. The Blind s’est aussi amusé et promené à l’étranger : sur la Place Rouge à Moscou, place de la Bourse à Bruxelles (« La bourse ou la vue »), à Venise (« Love is blind »), à Tchernobyl (« Blind City »), à Budapest... À chaque fois, des non-voyants sont sollicités et invités à jouer le jeu. Un jour, près de l’église Sainte-Croix, une dame a ri en déchiffrant la phrase : « Ne pas toucher » ! Le « Pas vu pas pris » posé sur le palais de justice de Nantes et le « Vu et approuvé » sous le panneau LU du boulevard Carnot ont également fait mouche. Des performances que The Blind réalise parfois en collaboration, avec des graffeurs ou avec d’autres artistes, comme RockyZéro et son langage des signes, ou The Postman Quartet, apparu à Nantes en 2002.
"Décor :
Une bande de graffeurs réunie autour d'un pack de bières parle d'une action passée.
L’un dit : « On a fait un énorme block sur le périph', hier, bim ! Embouteillages devant, trop fat, trop bien placé, tout le monde le voit direct, obligé ! ».
- Ben non, les aveugles ils ont rien vu eux…répondit The Blind
En rentrant chez moi ce soir là, ma réponse ne quitte pas mon esprit. Difficile de m’endormir cette nuit là. Dans mes draps sales, je cherche des idées graphiques à intégrer dans les peintures de mes potes du B2M.
Le problème est qu’à cette époque là, mon style est plutôt classique et je suis loin du travail de fresques.
Après avoir compté plus de 100 000 moutons sur mon plafond, après avoir tourné mes idées dans tout les sens, une vision m’apparaît. Je visualise des petits points…, des petits points de phrases en braille. Je tiens un truc, du « jamais vu », un nouveau concept : le graffiti pour aveugle.
Après avoir développé le propos et expérimenté ce concept dans plusieurs coins et recoins de Nantes, je finis par trouver la formule, la bonne.
Je commence par écrire des phrases en braille sur un pochoir pour tracer les marques sur le mur. Ensuite je colle au pistolet des demi sphères en plâtre (préalablement préparées), sur les traces murales du pochoir.
La phrase est en volume, et l'aveugle peut, si il la voit (jajaja), ou si il la touche, comprendre le sens de cette dernière. Entres nous, c’est assez simple, oui, mais efficace et surprenant.
Je suis constamment à la recherche de lieux. Des lieux symboliques, emprunt de sens. Mes phrases en braille sont toujours en lien avec le lieu sur lequel je les pose (« pas vu,pas pris – Palais de justice de Nantes).
Mon tempérament de graffeur vagabond globe-trotter, me fait parcourir le Monde, sac sur le dos. Ces voyages me permettent de diffuser ma pratique là où m’emmènent mes vieilles baskets.
A l’étranger, les phrases sont traduites selon les pays visités, et c’est ainsi des aveugles de Moscou, Budapest, Bruxelles, Venise, Paris, Barcelone, Saint Petersbourg, Etats-Unis, etc… ont pu lire mes graffs.
J'ai l’habitude de privilégier des lieux touristiques, pour leur histoire, leur fréquentation, l'impact visuel et la surprise que génèrent mes graffs dans ces décors. Mais j’aime aussi m'approprier et intervenir dans des lieux insolites et inhabituels : Tchernobyl, les catacombes de Paris, ou encore plus récemment la Death Valley en Californie.
Comme tous les graffeurs vandales, j’ai besoin de ma dose d’adrénaline, c’est pourquoi j'agis toujours de jour et sur des supports illégaux.
J’accorde aussi une attention particulière aux photographies des travaux finis. Je collabore avec plusieurs photographes pour mettre en valeur l’impact du visuel des mots posés en braille. Ces collaborations m’ont permissent de proposer plusieurs expositions photos de mon travail.
La compréhension de mes brailles, peut comme les lettrages Wild Style être complexe. Un non initié apprécie l’esthétique sans comprendre le sens et la force des mots associés au lieu. Parallèlement, les non-voyants, en faisant appel à leur sens du toucher, seront plus sensible aux mots qu’a l’esthétisme.
J’aime penser que pour accéder à mon travail et le comprendre, voyants et non-voyant ont mutuellement besoin l’un de l’autres. En d’autres terme, c’est un peu comme l’eau et le Ricard, l’un de va pas sans l’autre et l’union fait leur force.
Enfin, les différentes collaborations artistiques que je développe sont un caractère important de mon travail. A travers la fusion des univers, les propos et les techniques gagnent en pertinence. Je développe depuis plusieurs années maintenant, cette démarche de travail avec Rocky Zero ou encore The Postman Quartet.
Suite à sa perte partielle d’audition qui tend malheureusement (pour lui) aujourd’hui sur une perte totale (merci le Deaf-metal !...), Rocky Zero travail sur le langage des signes. Il était donc évident pour nous de mêler nos travaux autour de ces handicaps. Le travail de l’un donne de la force et complète le travail de l’autre.
Enfin, de caractère radicalement opposé, The Postman Quartet apporte son esthétisme « ultra-patient » et détaillé à mes concepts impulsifs et toujours provocateurs".
The Blind