Ador

A force d’étudier et de photographier des graffs, on finit par se familiariser avec cet univers, on déchiffre des noms, on identifie des signatures, on reconnaît peu à peu des styles et des peintures murales. Certaines éblouissent totalement. On se demande qui se cache derrière mais on n’ose pas aborder ni déranger les graffeurs aperçus ici et là, surtout sur le quai de la Loire ou à la Meuse. On passe de préférence aux heures où les lieux sont déserts. On sent que ce monde est à part, on se demande comment le comprendre, quelles sont les clés.

En attendant, on guette certaines fresques plus que d’autres, on surveille les noms qui apparaissent sous les peintures, on se prend d’affection pour de drôles de personnages. Rapidement, le travail d’Ador capte toute l’attention. On se dit qu’il a bien choisi son nom et, même si le jeu de mots est facile, Ador on adore. Alors on cherche partout dans la ville, on piste ses oeuvres, on est surpris d’en croiser à Paris, on n’en revient pas de tant de dextérité, on est sous le charme et sous le choc à chaque fois. Dans cet univers où il est question de « grande mascarade », on s’interroge. Ses personnages aux yeux globuleux et aux longs becs semblent venir d’un autre monde, ou à l’inverse, représenter les hommes et les femmes qui vivent sur une planète plus vraiment bleue. On dirait qu’il se moque, qu’il rit de la bêtise humaine, qu’il crie sa colère d’un monde vulgaire, avec humour et parfois violence. On ne sait pas très bien, c’est peut-être tout ça à la fois, mais on est fasciné et touché. Et l’on a soudain très envie de le rencontrer.

L’occasion se présente un jour sur le quai de la Loire, lorsqu’un jeune homme prend des photos d’un certain Korsé dont on a aussi repéré les personnages, et animaux colorés. On l’aborde en pensant qu’il s’agit aussi d’un passionné de graffiti. Pas du tout, c’est Korsé lui même, ça tombe bien ! On profite de l’occasion pour discuter, on aime bien ce qu’il peint, on a vu sa signature sur des fresques communes avec Ador. Normal, c’est un copain ! C’est le début d’une série de chouettes rencontres et d’échanges, d’une meilleure compréhension du graffiti, de son fonctionnement et de ses techniques.

 

"Il s’agit de fabriquer des histoires. Chercher une façon de raconter, discuter, avec un goût prononcé pour certains aspects de la nature humaine. Communiquer avec des protagonistes, qui eux, n’y arrivent pas. Proposer un univers joyeux pour un monde merveilleux et maintenir le contact - langage – entre les êtres d’une civilisation grotesque, vulgaire, absurde. Comme une grande mise en scène ou un grand spectacle. Certains personnages paradent, s’expriment ou se taisent, mais cherchent à communiquer dans l’espace public, face à d’autres qui gisent comme de misérables loques. La gratuité de cette expression d’une vision du monde est désormais un leitmotiv depuis plusieurs années. Est-ce le bon choix ?"

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